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De nombreux spécialistes en recherche d’information (RI) s’intéressent à cette discipline sous l’angle du comportement humain. Dans ce domaine d’étude, appelé Information seeking behaviour (ISB), les pensées, émotions et stratégies qui surviennent lors du processus de recherche d’information sont prises en compte, plutôt que l’évaluation de la performance des systèmes.

L’article “A model of uncertainty and its relation to information seeking and retrieval (IS&R)” s’inscrit dans la lignée des recherches en ISB. Il propose, comme son nom l’indique, une modélisation de l’incertitude liée à la recherche d’information. Cet article est le résultat d’une recherche menée à l’université de Strathclyde à Glasgow, dans un environnement académique et numérique, par Sudatta Chowdury.

En sciences de l’information, l’incertitude se manifeste par le doute, la confusion, l’anxiété, le manque de confiance, voire, dans des cas extrêmes, par la technophobie. Il est généralement admis que cette incertitude est intiment liée au besoin informationnel de l’utilisateur, et qu’elle disparaît une fois que ce celui-ci est satisfait.

Les apports de la recherche entre 1980 et 2006

Nicholas J. Belkin estime que l’incertitude naît d’un état anormal de la connaissance ou d’un manque d’information de l’individu. Pour combler ce «vide» (très similaire à celui décrit par Brenda Dervin dans son approche de sense-making), l’individu entreprend une recherche d’information, laquelle est entravée par son incapacité à formuler des questions de recherche adéquates, ce qui a pour effet d’entretenir l’incertitude.

Dans une approche psychodynamique, Carol Kuhlthau intègre la dimension affective au processus de RI. La chercheuse a développé un modèle, appelé Information search process (ISP). Selon Kuhlthau, l’incertitude est un état cognitif qui provoque des symptômes affectifs qui se manifestent dans les premières phases de la recherche d’information. Au fur et à mesure que la connaissance gagne en clarté, l’utilisateur ressent une plus grande confiance.

Diane Nahl propose une approche taxinomique du comportement informationnel, qui vise à mesurer de manière objective les émotions (affectif), les pensées (cognitif) et les actions (sensorimoteur) des chercheurs d’information, et à montrer comment la dynamique de ces comportements imprègne chaque séquence d’une session de RI. Nahl remarque que l’incertitude peut être expérimentée indépendamment du niveau de compétences des utilisateurs. La spécialiste estime aussi que l’incertitude a un impact significatif sur les objectifs de recherche de l’utilisateur, puisque ce dernier risque d’être fortement désorienté si sa recherche reste infructueuse après plusieurs tentatives.

Thomas D. Wilson défend pour sa part un modèle où l’incertitude peut survenir à n’importe quel stade de la recherche et pas seulement dans les phases initiales. Cela a pour conséquence de relancer le processus de recherche et implique une évolution itérative (et donc non-linéaire).

Enfin, Theresa D. Anderson a remarqué que l’incertitude n’est pas uniquement un phénomène négatif, puisqu’elle peut motiver l’utilisateur à modifier son approche ou à passer plus de temps à explorer des alternatives de recherche.

La capacité de la RI à neutraliser l’incertitude

La recherche de Sudatta Chowdury (suite à sa thèse de doctorat et avec le renfort de Forbes Gibb et Monica Landoni) a abouti à un modèle qui remet en question la capacité de la RI à réduire l’incertitude. Sa recherche a par ailleurs donné lieu à trois articles scientifiques.

En travaillant sur des données quantitatives et qualitatives récoltées auprès d’usagers académiques (professeurs, chercheurs, doctorants), l’auteure a notamment pu établir des corrélations entre certaines activités de RI, certains problèmes de RI et des catégories démographiques (genre, discipline, âge, compétences en technologies de l’information et de la communication).

L’un des objectifs de la recherche était de vérifier que l’incertitude disparaît avec la complétude du processus de RI. S. Chowdury a au contraire observé une fluctuation du degré d’incertitude et un déplacement de l’incertitude d’un facteur problématique à un autre au cours de sessions de recherche successives. Elle a en outre relevé que l’incertitude n’avait pas disparu chez les usagers une fois les sessions de recherches terminées. Cela l’amène à parler d’incertitude persistante.

D’autre part, l’étude a établi que ce ne sont pas des types de canaux ou sources d’information en particulier qui causent l’incertitude mais bien la prolifération de ceux-ci, et que le degré d’incertitude n’est pas plus bas lorsque les usagers sont familiers avec le sujet de la recherche d’information.

Le modèle

model

© Sudatta, Gibb & Landoni 2014

La modélisation intègre les nouvelles connaissances aux anciennes.

Aux lacunes informationnelles de l’utilisateur sont ajoutés les facteurs démographiques qui peuvent avoir une influence sur l’incertitude existant «au préalable», ainsi que le contexte spécifique (social, professionnel) de l’utilisateur, qui joue un rôle déterminant sur l’incertitude ressentie sous forme de pression notamment, ou sur le type de besoin informationnel.

Concernant l’incertitude liée au processus-même de RI, la multiplicité des sources et des systèmes apparaît comme un facteur-clé, de même que sept activités et sept problèmes désignés comme sources certaines d’incertitude. Ces activités et problèmes vont du choix de la source d’information à la formulation de la question de recherche, en passant par la dispersion et le trop-plein d’information. Ils peuvent provoquer de l’incertitude ressentie comme «négative», qui a pour effet de relancer une recherche; ou au contraire de l’incertitude « positive » (nouvelles idées, découvertes fortuites), incitant à explorer des alternatives, également à travers une nouvelle recherche.

On peut noter que l’incertitude, qu’elle soit négative ou positive, aboutit à la même action: une nouvelle recherche (l’option abandon n’as pas été prise en compte).

L’utilité des modélisations

A part confirmer de façon scientifique ce que l’on savait déjà plus ou moins, à se sentir moins seul devant les méandres de la RI, ou à publier des papiers dans des revues renommées, à quoi peut bien servir cette modélisation?

Selon son auteure, ce nouveau modèle devrait être pris en compte par les designers de systèmes ou d’outils de recherche d’information pour bibliothèques numériques. Cela afin de réduire l’impact négatif de l’incertitude et d’en augmenter parallèlement l’impact positif.

A titre d’exemple, ce modèle pourrait inspirer les services d’information qui intègrent des références croisées de plusieurs bases de données.

En effet, toujours selon l’auteure, il serait judicieux que les résultats de revues appartenant au domaine spécifique de l’usager puissent être obtenus comme premières sources, et qu’ils ne soient pas noyés par d’autres résultats provenant de la totalité des bases de données.


Références

Chowdhury, S., Gibb, F. and Landoni, M. (2014), “A model of uncertainty and its relation to information seeking and retrieval (IS&R)”, Journal of Documentation, Vol. 70 Iss 4, pp. 575 – 604. http://dx.doi.org/10.1108/JD-05-2013-0060

Chowdhury, S. and Gibb, F. (2009), “Relationship among activities and problems causing uncertainty in information seeking and retrieval”, Journal of Documentation, Vol. 65 No. 3, pp. 470-499. http://dx.doi.org/10.1108/00220410910952438

Chowdhury, S., Gibb, F. and Landoni, M. (2011), “Uncertainty in information seeking and retrieval: a study in an academic environment”, Information Processing and Management, Vol. 47 No. 2, pp. 157-175. http://dx.doi:10.1016/j.ipm.2010.09.006